Je me souviens de la 9e école
Depuis toujours, je photographie les gens, le plus souvent dans l’action. Avec le portait, c’est différent : c’est une démarche où l’on doit aborder l’autre qui doit accepter de se faire approcher « très proche », à une distance « amicale » qui, normalement, met des mois à s’accomplir.
Les entretiens que j’ai réalisés, avec les témoins quant à leurs souvenirs de la 9e École de tir et de bombardement de Mont-Joli ont agi à la manière d’un raccourci à travers le temps. Les portes du passé se sont entrouvertes, les yeux ont brillé et les souvenirs ont jailli avec aisance, sous forme d’avions, de sous-marins, de héros…
La glace était brisée, les témoins s’étaient transformés en raconteuses et en raconteurs de légendes immenses de la vie ordinaire. Du coup, l’intervieweur a délaissé le crayon pour presser le déclencheur de son appareil photo et fixer leur humanité débordante de fraîcheur.
En espérant que, comme moi, vous sortirez de cette exposition en disant : J eme souviens… de la 9e école.
Projet réalisé entre le 1er avril et le 1er novembre 2018.
André Lemelin
Photographe et cueilleur de récits.
En collaboration avec Le Carrefour de la littérature, des arts et de la culture (CLAC) et secondé par Julie Boivin, Annie Landreville, Liz Fortin.
Carrousel d’images par ici.
Ghislain Deschênes
Ghislain Deschênes
Rimouski
Né en 1935
Je suis né à Sainte-Flavie en 1935 et je suis allé à la petite école du rang 3. Mon père avait une ferme de quatre arpents et possédait six vaches et une team de chevaux (deux chevaux attelés en double) qui traînaient la charrue. À l’époque, on n’avait pas de tracteur. Je me rappelle qu’une année, quand ça été le temps de planter les patates, mon père les a semées au clair de lune, parce que le jour, il travaillait à la base militaire…
Le long de la route, près de la Tour de guet est, à la Pointe aux Cenelles, aux abords des terrains de Madame Reford, il y avait des bâtiments de l’armée où les soldats se pratiquaient à tirer sur une boule dans l’eau. Ils tiraient de la 303 et les aviateurs laissaient tomber des bombes d’entraînement de 11 livres.
La boule était fixée à une masse de ciment recouverte de planches, sur des rochers visibles à la marée basse. Après la guerre, des jeunes et des moins jeunes, y allaient en bicycle, qu’ils laissaient sur le bord de la route, traversaient les terrains de Madame Reford (les Jardins de Métis) et se rendaient sur les rives pour ramasser les cartouches vides et les restants des bombes. Ils remplissaient leur sac à dos et allaient revendre le métal aux ferrailleurs, dont Monsieur Dubé, à Saint-Octave. J’ai moi-même retrouvé des douilles de 303 lorsque je suis allé à la pêche aux clams dans les parages.
Après la guerre, c’est mon oncle Gérard Deschênes qui a ramassé la boule qui traînait dans l’eau depuis quelques années, dont la base en ciment s’était défaite à cause de l’eau salée et des glaces en hiver. Il l’a conservée un temps, puis l’a donnée à la Grange à Dîme pour qu’elle y soit exposée. On l’appelle la Grange à Dîme parce que, à l’époque, les gens donnaient une partie de leur récolte au curé. Ça pouvait être de l’orge, de l’avoine, du blé….
À l’époque de la 9e École…, les avions s’entraînaient au tir en traînant des cibles dans les airs et d’autres avions surveillaient le fleuve Saint-Laurent pour repérer les sous- marins allemands. Des fois, nous avions même droit à une parade d’avions dans le ciel où ils volaient bien alignés les uns à côté des autres.
Les cibles étaient faites en forme de fuseau et avaient au moins 15-20 pieds de long et les wire, les câbles de fer tressé qui les tiraient, s’étendaient au moins sur une demi- douzaine d’arpents (plusieurs centaines de mètres). Après leur pratique dans les airs, les avions ré-enroulaient le câble et laissaient tomber la cible près de l’aéroport, avant d’atterrir. Les cibles étaient faites en soie et coûtaient cher. Certaines personnes ont même reçu de fortes amendes pour en avoir ramassé et avoir refusé de les rendre à l’armée.
Une fois, une cible est tombée sur notre terre. Vu que c’était vers la fin de la guerre, l’armée n’est jamais venue la réclamer et mon père n’a pas été inquiété. Je ne me rappelle plus ce qu’il a fait avec la soie. Peut-être l’a-t-il découpée et s’en est-il servi comme toile? Mais il avait trouvé une utilité pour l’anneau et le câble de métal : il les utilisait pour resserrer les piquets de la clôture à pieux qu’il pouvait ensuite attacher avec de la broche.
J’ai conservé le câble de métal et je l’ai encore aujourd’hui.
Guy Fournier
Guy Fournier
Magog
Né en 1940
Dans le temps de la 9e École, la population avait presque doublé à Mont-Joli, à cause de la base militaire. Quand mon père est mort, en plus de louer des chambres aux officiers, ma mère préparait une vingtaine de repas pour les aviateurs qui venaient manger à la maison, autour d’une grande table. Elle avait appris son métier lorsqu’elle avait travaillé à l’Hôtel Victoria, appartenant à son père.
Ça faisait tellement de monde à la maison qui allait et venait que, nous les enfants, on avait été mis dans un pensionnat, à tour de rôle. En plus de tout ça, ma mère trouvait le temps de laver le linge des militaires. (Il y avait aussi mes deux tantes qui lavaient le linge, mais à temps plein). Ça fait que ma mère travaillait de 5 heures le matin jusqu’à minuit le soir. Elle notait tous ses comptes dans un calepin pour se faire payer le jour de paie des militaires.
J’étais bien jeune à l’époque, mais je me rappelle qu’on allait dans le champ près de l’aéroport, près des barbelés, pour cueillir des bleuets, mais surtout pour regarder les avions s’envoler et atterrir. Certains soirs, une sirène nous rappelait de rabattre des tentures sur les fenêtres pour cacher les lumières dans les maisons, au cas où un sous- marin allemand aurait manoeuvré dans le fleuve.
Une fois, un aviateur m’avait amené à l’aéroport, avec la permission de ma mère, pour m’offrir une petite voiture qu’un mécanicien avait ouvragée, mais lorsqu’on est arrivés dans le hangar, la voiture avait disparu, ou avait été offerte à quelqu’un d’autre. L’enfant que j’étais alors avait eu beaucoup de peine.
Aussi, je me rappelle qu’un officier, à la fin de la guerre, avait laissé à la maison la coupe de hockey que l’équipe des aviateurs avait gagnée contre l’équipe du séminaire de Rimouski. Il avait dit que ce trophée devait rester à Mont-Joli et l’avait donné à ma mère, qui me l’a remis plus tard.
Le temps a passé et, quand j’ai déménagé en appartement à 16 ans, je l’ai apportée avec moi. Puis, à 19 ans, je suis parti en ville pour étudier à l’université. J’ai préféré confier la coupe à Gaétan D’Amours, mon professeur d’éducation physique, pour qu’elle reste à Mont-Joli.
En 2017, je suis revenu à Mont-Joli pour essayer de retrouver la coupe; j’ai fait des recherches et j’ai demandé autour de moi, donc à la fille de Gaétan qui était mort depuis. À ma grande déception, je ne l’ai pas retrouvée. Tout ce qui en reste, c’est quelques vieilles photos, dont une où on la remet au capitaine de l’équipe de hockey. Il n’y a pas à dire : elle était vraiment belle!
Jean-Marie Desgagnés
Jean-Marie Desgagnés
Baie-Comeau
Né en 1929
Du temps de la 9e école de bombardement et de tir, j’avais une douzaine d’années. Avec mes amis, on allait souvent voir des films sur la base militaire. Puis on quittait rapidement dès le film terminé pour ne pas à avoir à se lever debout pour écouter le « God Save The King » (c’était Georges VI qui, alors, régnait sur le Royaume-Uni). Or, une fois, quand on a ouvert la porte de sortie pour filer en douce, on est tombés sur un MP de six pieds sept pouces, 350 livres. Un vrai colosse! Il nous a saisis par le collet, nous a soulevés légèrement de terre et nous a obligés à écouter l’hymne national britannique jusqu’au bout… « God Save The King »!
Régulièrement, les avions de l’armée survolaient le fleuve Saint-Laurent ou les champs pour se pratiquer. Un premier avion traînait une cible et un second, avec le mitrailleur à bord, essayait de l’atteindre. Lorsque les mitrailleurs visaient sur la cible, il arrivait qu’ils atteignent les câbles et que celle-ci se décroche et tombe au sol. Un jour, on en avait ramassé une pour s’en faire un hamac, qu’on avait fixé dans une grange. Mais lorsqu’on avait appris que l’armée donnait 20 $ pour une cible trouvée et rapportée (après tout, elles étaient faites en soie), on l’avait retournée sur-le-champ. Vingt dollars, dans le temps, c’était beaucoup d’argent!
À l’âge de 13 ans, j’ai été cadet et j’allais tirer de la 22. On se pratiquait dans une bâtisse avec un corridor intérieur de plus ou moins 120 pieds de long avec, au bout, les «targets», les cibles sur lesquelles on tirait.
Comme cadet, à une occasion, j’ai été affecté à la barrière en haut, vers Saint-Joseph- de-Lepage. Là, on devait arrêter les voitures qui se dirigeaient vers Mont-Joli et peinturer en noir leurs phares (en laissant filtrer un peu de lumière), pour les masquer au cas où il y aurait eu des sous-marins allemands dans le fleuve. Mais certains chauffeurs, le barrage passé, s’empressaient d’enlever la peinture.
La présence des sous-marins dans les environs était bien réelle. Alors que j’étudiais au Collège des Frères du Sacré-Coeur, nous avons vu par la fenêtre deux avions qui tournaient en rond au-dessus du fleuve et qui recherchaient un sous-marin allemand. Même le frère qui nous enseignait avait le nez collé sur la fenêtre.
Parmi les instructeurs de la base, il y eut Jacques Chevrier. Il avait été pilote de chasse en Europe et avait été ramené au Canada pour enseigner à Mont-Joli. ll semble que le sous-marin qu’il aurait pourchassé dans le fleuve était un appât et qu’il y en avait un deuxième en arrière qui aurait fait surface et aurait descendu son avion.
Qui dit sous-marins allemands, dit aussi histoires d’espions allemands. Un coup, on aurait démasqué un espion déguisé en curé. Par la suite, un Allemand, surnommé l’Ours polaire, aurait été arrêté alors qu’il se promenait en voiture avec une caméra cachée pour prendre des photos de la base et des alentours.
Paraît même que des Allemands seraient descendus de leur sous-marin pour aller voir un film au Cinéma Cartier, à Rimouski, et s’en seraient vantés par la suite. À ce point que les Anglais auraient vérifié les soi-disant faits pour se rendre compte que le film, que les Allemands prétendaient être allés voir, avait bien été à l’affiche ce jour-là.
Mon père, qui avait un taxi, a aussi travaillé à la base, car il avait étudié en machinerie fixe, comme on en retrouvait dans les usines de sciage. Il avait aussi eu un diplôme que l’armée lui avait attribué, suite à une formation spécialisée, et s’occupait des chaudières à vapeur de la base.
Une fois, il avait ramené un soldat à la maison, pour partager un repas en famille. Il l’avait ramassé sur le bord du chemin. L’homme revenait d’une permission, avait-il expliqué, et s’en allait sur une base en Ontario. À la demande du soldat, après le souper, mon père était allé le déposer en voiture de l’autre côté de la base. En chemin, l’homme s’était baissé dans la voiture pour soustraire à la vue des militaires…
Quand mon père m’a raconté son périple, je lui ai dit que, finalement, il avait peut-être raccompagné un espion. Il s’était alors surpris à me dire : « Bien oui, j’y avais pas pensé! »
Fernand Fortin
Fernand Fortin
Sainte-Flavie
Né en 1927
Quand j’étais jeune, je foxais l’école (je faisais l’école buissonnière) avec mon ami Wilfrid, le fils du garagiste Bourdage. J’étudiais au couvent des Soeurs du Saint-Rosaire, à Price, mais nous nous rendions à la future base militaire pour observer les travaux d’aménagement et voir les ouvriers égaliser le terrain. Le soir, je retournais à la maison, comme si de rien n’était. Un jour, la maitresse a dû s’apercevoir de mon manège, car elle avait mandaté son chouchou, Jacques Pineau, pour aller porter une lettre à mon père qui lui signalait mon absence. Heureusement, j’ai pu intercepter Pineau et récupérer la lettre, et mon père ne l’a jamais su. Moi, de mon côté, je n’ai plus manqué l’école…
Dans le temps de la Deuxième Guerre, il y avait des sous-marins allemands qui naviguaient dans le fleuve Saint-Laurent, ce qui forçait les habitants à masquer les fenêtres des maisons avec des stores et à peinturer les lumières des automobiles, des fois, même avec du goudron, en laissant juste une petite fente qui n’éclairait presque rien. D’une certaine manière, ça forçait les gens à rester chez eux.
Avec les sous-marins venaient les histoires d’espions allemands. Comme celui qui s’était promené en kayak, ou en canot, et qui avait campé près de Métis. Il aurait été intercepté par l’agent Bard, de la police municipale, et aurait été remis à la police montée. Ensuite, on n’en avait plus entendu parler.
Ou quand des Allemands seraient allés danser chez Donat Falardeau, une auberge à Métis-sur-Mer. Ils auraient payé avec du vieil argent qui n’avait pas été accepté (peut- être des anciens billets du Dominion of Canada, une preuve qu’ils n’étaient pas Canadiens). Bref, ils seraient repartis sans se faire arrêter.
Quand les premiers avions se sont mis à s’envoler des pistes de l’aéroport, on les regardait continuellement passer dans le ciel. Mais très vite, on s’en est fatigué; c’était un bourdonnement continuel, car ils s’entraînaient et patrouillaient du matin au soir.
Une fois, j’ai vu un avion tomber au sol. Je passais le râteau à foin tiré par un cheval. C’est un outil avec deux grandes roues et un arc de métal servant à ramener le foin pour faire des meules. L’appareil s’était mis à tourner en rond avant de piquer du nez et de chuter sur la voie ferrée. J’ai couru vers l’avion et, lorsque je suis arrivé, j’ai aperçu le pilote qui était recouvert jusqu’à la taille par son engin. Il a bougé les bras, en faisant des grands gestes, puis s’est affaissé. J’ai essayé de voir l’état du mitrailleur, mais la queue de l’avion était trop haute pour que je ne l’aperçoive. Je suis retourné à mon cheval, car beaucoup de gens accouraient vers l’épave. Le soir, lorsque je suis revenu de mon travail, on avait enlevé l’avion et on réparait déjà la voie ferrée.
Evelyn Annett
Evelyn Annett
Grand-Métis
Née en 1928
Je suis née en 1928 et j’avais entre dix et seize ans durant la Seconde Guerre mondiale. Nous demeurions dans une maison (aujourd’hui disparue) à Grand-Métis, car mon père et ma mère travaillaient pour Madame Elsie Reford. Mon père était maître d’hôtel et ma mère était cuisinière. D’ailleurs, c’est là que mes parents se sont rencontrés pour se marier en 1928.
À cette époque, il y avait plusieurs maisons et bâtiments près des Jardins de Métis, presque un village, aujourd’hui disparu.
Madame Reford était une femme hors de l’ordinaire. Elle voyageait, lisait, parlait plusieurs langues et n’hésitait pas à prendre sa place en société. Par exemple, lorsque les femmes se retiraient après le repas, pour laisser les hommes discuter entre eux, elle restait sur place et n’hésitait pas à s’imposer.
Du temps de la création du jardin, tout le monde des environs apportait de la terre noire ou des pierres pour sa construction. C’était comme un travail commun. Au mois d’août, je la revois s’assoyant sur un banc, rêvant son jardin des années à l’avance, imaginant les arbres à leur pleine grandeur et pensant à l’agencement futur des fleurs et des couleurs.
Juste avant la guerre, nous revenions d’Angleterre (mes parents étaient originaires d’Angleterre). N’ayant pas trouvé d’appartement à Montréal, ils avaient décidé de rester à Grand-Métis, de 1939 à 1943. Ma mère, ce qui était audacieux à l’époque pour des anglophones, avait décidé de nous envoyer à l’école française du village, moi et mon frère. Elle disait que « mes enfants allaient parler les deux langues du pays ».
Sur le bord du fleuve à la pointe aux Cenelles (pas loin d’où loge maintenant l’Institut Maurice-Lamontagne), Madame Reford organisait 3-4 fois l’an un pique-nique pour ses domestiques, comme on disait alors, qui profitaient d’une journée de congé. Quand la 9e école… s’est établie à Mont-Joli, beaucoup de choses ont changé dans le coin et les pique-niques ont cessé.
La pointe a été confisquée par l’armée qui y a installé une boule, montée sur une base en ciment haute d’à peu près quinze pieds, par une vingtaine de long, destinée à la pratique de tir à la mitrailleuse et de bombardement. On entendait régulièrement les avions voler dans le ciel.
Après la guerre, je suis allée m’y promener et j’ai ramassé des douilles de balles et des pièces métalliques de bombes. La fin de la guerre correspondait aussi à la disparition d’une époque, celle des grandes familles, des grandes maisons et de la grande vie avec les nombreux domestiques : chauffeur, cuisinière, blanchisseuse…
Quand nous habitions dans cette maison, près des Jardins, il arrivait que des élèves militaires anglophones partis de la base à Mont-Joli empruntent la Route nationale 6, aujourd’hui la 132. Ils s’arrêtaient près des Jardins pour demander à ma mère si Métis Beach était encore loin. Là, ça parlait anglais et ils pouvaient profiter de leur temps libre pour prendre une bière chez Donat. « Encore 6-7 miles », leur répondait ma mère. Ils étaient alors un peu découragés.
À Grand-Métis, comme ailleurs dans la région, le soir, on couvrait les fenêtres des maisons avec du matériel noir pour masquer la lumière au cas où il y aurait eu des sous- marins allemands dans le fleuve. J’ai entendu une histoire à propos de quelqu’un qui parlait allemand et qui serait allé prendre une bière à Métis pour récolter des renseignements. Était-ce vraiment un espion? Je ne sais pas.
Yvon Morissette
Yvon Morissette
Saint-Joseph-de-Lepage
Né en 1925
Lors de la construction de la base militaire à Mont-Joli, j’avais 17 ans. Le matin, j’allais reconduire en voiture à cheval mon père, Napoléon, et deux de mes frères, Lionel et Adéodat, qui y travaillaient. Le soir, j’allais les rechercher.
Le 17 décembre 1941, les hommes avaient été renvoyés du chantier à cause d’une tempête de neige. Mon père, mes deux frères, ainsi que d’autres travailleurs s’étaient arrêtés à Mont-Joli pour enlever la neige qui recouvrait la voie ferrée. Quand les charriots furent remplis de neige, un engin de manoeuvre les poussa sur la voie ferrée vers le lieu de déchargement situé à l’est de Mont-Joli. Des hommes étaient montés à bord d’un fourgon et d’autres avaient pris place sur la neige dans les chariots. C’est alors qu’un train de marchandises venant de la Matapédia les avait frappés. Il y eut 9 morts et 25 blessés, dont des gens de Mont-Joli et de Saint-Joseph.
La base militaire terminée, les avions se sont mis très vite à voler dans le ciel. On les voyait souvent venir virer vers chez nous, sur le 4e rang Ouest, à Saint-Joseph-de- Lepage. Ils volaient bas et des fois, les mitrailleurs tiraient des balles. J’en entendais siler, siffler aux oreilles, à l’occasion. Un jour que j’étais à épandre du fumier, j’en ai entendu une passer près de moi. Il y avait même des cultivateurs qui avaient peur de labourer leurs champs à cause des balles perdues. Une fois, j’ai trouvé une cible en soie dans un de nos champs. J’ai encore le bout du wire, du fil métallique tressé, roulé sur un rouleau de bois. Un autre coup, j’ai trouvé, coincée sous un pieu de clôture, une pièce métallique de bombe.
Je me rappelle qu’un avion s’est écrasé sur la terre à Lévesque, près de l’hôpital de Mont- Joli. Nous, on jouait dehors… On a foncé vers l’accident. On a dû courir un mille. Quand on est arrivés, la police et les ambulanciers étaient déjà sur place, et un cordon de sécurité avait été placé. On n’a pas vu le pilote, mais l’accident avait dû être violent, car le moteur de l’avion s’était détaché et avait roulé sur plusieurs dizaines de pieds.
Le soir, en haut de la côte de l’église de Saint-Joseph, les soldats arrêtaient les voitures pour peinturer à moitié leurs phares, à cause des sous-marins allemands qui rôdaient dans le fleuve.
Il y avait aussi Jo Dubé, le gars du grand Albert, qui était soldat et qui restait pas loin de chez nous, dans le 4e rang. Il s’est avisé de tirer une vache qui pacageait dans le champ (à côté de la côte de l’église) appartenant à Émile St-Amant. Bang! Il l’a tué. J’imagine qu’on a dû le punir. Jo Dubé, c’était un gars pas barré à zéro.
Dans ce temps, la rue de la Gare à Mont-Joli était beaucoup animée avec ses restaurants et son cinéma qui appartenait à un Monsieur Aboussafy. Les aviateurs et les soldats allaient s’y distraire. Un samedi, j’ai vu Paul et André Anctil, qui étaient des ricaneux, plaisanter à propos des militaires. Plusieurs d’entre eux s’étaient fâchés et avaient voulu s’en prendre aux deux frères qui avaient dû se sauver en courant. Des chicanes comme ça, il y a en avait de temps à autre…
Une couple d’années après la guerre, j’ai soumissionné puis acheté un hangar sur la base. J’en ai gardé une partie et j’ai vendu l’autre avec ses 3-4 portes à Léopold De Champlain. Il a essayé de traîner sa section avec son petit tracteur qui n’était pas assez fort. Je suis allé chercher le mien, que j’avais loué à Ville, et on a déplacé sa partie sur des patins faits avec des billots d’épinette. Sa moitié de bâtisse avec ses portes est encore en place aujourd’hui sur le 2e rang de Sainte-Flavie.
Gracieuse Turcotte
Gracieuse Turcotte
Saint-Octave-de-Métis
Née en 1934
Je suis née en 1934. J’ai vécu mon enfance dans le 4e rang à Sainte-Jeanne-d’Arc. Nous allions à l’école du rang où il y avait une seule classe d’une trentaine d’élèves, de la 1re à la 7e année. L’école était à un demi-mile de notre maison, que nous faisions à pied, même en hiver. Imaginez, nous les filles, nous étions en robe de couvent noire à plis et en bas de laine, avec de la neige jusqu’aux genoux.
Je me rappelle qu’on voyait des avions passer très bas dans le ciel. Ma mère nous avait dit que ceux en jaune étaient pour les passagers, et que ceux en vert étaient des avions de guerre. En hiver, lorsqu’on glissait dans la neige le soir au clair de lune, et qu’on en entendait un s’approcher, on guettait sa couleur. Si c’était un avion vert, on allait se cacher de peur de recevoir des bombes.
Pendant la guerre, il y avait les « coupons » qui donnaient droit au sucre, au café… On en obtenait une quantité déterminée selon le nombre de personnes dans la famille. Ma mère attendait de savoir combien de coupons nous recevrions pour le sucre pour calculer la quantité de confiture qu’elle ferait pour l’année. Le sucre, ça aide à conserver la confiture plus longtemps.
Il faut dire qu’il n’y avait pas d’électricité à cette époque dans les rangs 4 et 5; les maisons ont été branchées vers 1947. Donc, pas de frigidaire, ni de congélateur. Mais nous avions une radio à batteries avec laquelle on prenait des nouvelles du reste du monde.
Je revois aussi cette fois où mon frère et moi revenions ensemble de la messe du 1er vendredi du mois. On partait à 6 heures du matin et nous avions 3 milles et demi à faire à pied. Une fois, un jeep avec 2 soldats à l’intérieur s’était garé tout près et les militaires nous avaient demandé s’il y avait une famille qui vivait dans le coin avec de grands garçons. Nous avons dit que nous croyions qu’il y en avait une, par là-bas. Puis nous avons raconté l’histoire à ma mère qui nous a disputés : « À cause de vous autres, l’armée va les prendre pour les amener à la guerre! » Nous avons beaucoup pleuré et, après, lorsqu’on voyait un jeep militaire s’approcher, nous nous pressions d’aller nous cacher.
Quand l’armistice a été signé, dans notre rang, ç’a été la fête. Il y a eu une veillée et les gens ont dansé, même si la danse était interdite par le clergé. Dans les faits, il y avait souvent des veillées les samedis soirs avec la musique, la danse et la bagosse, l’alcool de fabrication domestique.
La bagosse était faite dans de gros barils de mélasse vides. Ceux qui la faisaient se cachaient dans les sheds à bois ou dans les caves. Il y a eu un Monsieur Nadeau qui en fabriquait chez lui, jusqu’au jour où il avait passé au feu. Le curé en avait profité lors de son sermon pour affirmer que le contrebandier avait été puni par le feu divin… Les curés étaient comme ça, ils effrayaient les gens en leur interdisant plein de choses. Même de trop rire!
En tous cas, ma mère ne se gênait pas pour en confectionner, elle aussi, de la bagosse, et elle appelait ça de la « champagnette ». Elle mettait des pelures d’oranges et de pommes, des raisins, du sucre et de la levure dans une jarre en grès pendant 40 jours. On en buvait pour la messe de minuit et le jour de Noël. Même les enfants avaient droit à un petit verre.
Les trois garçons de mon oncle Philippe Turcotte, Théode, Adélard et Henri sont revenus vivants de la guerre. Mais Théode avait une jambe en moins. Les gens disaient : au moins, il n’est pas mort! Puis les trois frères sont partis pour Montréal, avec un programme de l’armée. Théode est repassé plus tard dans le village, avec une jambe artificielle et n’avait plus besoin de béquilles pour marcher.
Louise Gendron
Louise Gendron
Mont-Joli
Née en 1954
Mon père, Jean-Marie-Rodrique Gendron, est né à Baie-des-Sables en 1914. Il venait d’une famille de 15 enfants. À 18 ans, il a servi avec les Fusiliers du Saint-Laurent pour ensuite se joindre en 1935 au Royal 22e Régiment. Dès son entrée dans l’armée, il a été envoyé à Fredericton où il a appris l’anglais. Durant la guerre 1939-1945, il a été instructeur au Canada et en Angleterre. En 1942, alors âgé de 28 ans, Jean-Marie est en service à Mont-Joli.
Ma mère, Blanche Côté, était américaine. Elle a grandi dans la ville de Pawtucket, au Rhode Island. Elle est née la même année que mon père, en 1914, et a grandi dans une famille franco-américaine. À l’âge de 28 ans, en 1942, sa vie bascule. Après 5 ans de fréquentation avec son petit ami Freddy, celui-ci lui demande une pause pour voir s’ils s’aiment vraiment. En colère, elle le renvoie séance tenante, mais est tout de même submergée par une grosse peine d’amour. Pour lui changer les idées, sa mère lui suggère d’aller visiter sa cousine Bernadette qui vit à Rimouski. Blanche accepte, prend le train à Boston et part pour deux semaines.
Un soir, lors de son séjour, le docteur Langis, qui est un ami de la famille, invite Blanche à l’accompagner à Mont-Joli. Il doit se rendre à la Légion canadienne pour examiner des recrues pour la 9e école… Dans la salle, un certain Jean-Marie-Rodrique Gendron, soldat parachutiste, s’occupe vraisemblablement du recrutement pour l’armée. Il remarque la jeune femme qui attend seule sur une chaise. Ils se regardent. Il décide d’aller la voir. Elle est unilingue anglaise; Jean-Marie parle très bien anglais. Ils se parlent, et c’est le coup de foudre. Ils se marieront 6 semaines plus tard à Pawtucket, et Blanche accompagnera son mari en Angleterre durant la guerre. Ils resteront ensemble pendant 32 ans, jusqu’à ce que la mort vienne chercher Jean-Marie, qu’elle appelait tendrement « John ».
Comme quoi… il n’y a pas juste des histoires d’armes pendant la guerre, mais aussi des histoires d’amour.
Rachel Turgeon
Rachel Turgeon
Saint-Octave-de-Métis
Née en 1920
En 1942, j’avais 22 ans, et notre famille habitait Saint-Octave. La guerre était commencée depuis un bout de temps et, dans les hauteurs, le soir, on coupait l’électricité pour être certain de fermer les lumières au cas où des sous-marins allemands auraient navigué dans le fleuve. Je me rappelle que mon père devait s’éclairer avec son fanal à l’huile pour aller jouer aux cartes.
Un jour, en lisant le journal, j’ai vu une annonce à propos d’une manufacture de munitions à Montréal qui cherchait du personnel. Avec 40 $ en poche, je suis partie en train, moi qui n’étais jamais allée plus loin que Rimouski. Faut dire que je n’étais pas peureuse!
À Montréal, à la descente du train, j’ai demandé mon chemin et je me suis retrouvée sur Sainte-Catherine, où j’ai loué une chambre pour la nuit. Le lendemain, je suis allée au bureau de placement et j’ai appris que la manufacture de munitions était située à Villeray. Dans ce temps-là, Villeray, c’était loin du centre-ville. J’ai pris le tramway et j’ai fini par m’y rendre.
Mon travail, c’était de mettre de la poudre dans les balles de fusil. Nous étions plusieurs assis près d’un long comptoir et nous travaillions à la chaîne. Au bout de trois jours, je suis tombée malade, comme empoisonnée par la poudre…
Lorsque je suis retournée au travail, je me suis retrouvée sur la presse qui fixait le détonateur dans la douille. L’opération pouvait être dangereuse, car si on mettait trop de pression, ça blowait, ça explosait. Le bruit nous assourdissait pour plusieurs minutes.
Nous étions payés 75 $ pour 15 jours de travail; c’était beaucoup plus que les 3 $ par mois au presbytère de Mont-Joli…
À la manufacture, on retrouvait des gens de toutes les races et des filles en masse. D’ailleurs, plusieurs d’entre elles allaient danser la fin de semaine, si bien qu’elles ne rentraient pas au travail le lundi. Mais moi, j’étais toujours au travail!
L’usine a fermé dans les derniers temps de la guerre et je suis revenue à Saint-Octave, fin 1944.
Par ici, on racontait beaucoup d’histoires.
Comme celle du brigadier Robert Bruce Reford qui, par respect envers ses hommes, avait désobéi à un ordre et avait conduit ces derniers vers une offensive. L’armée l’avait bien sûr réprimandé. Les gens, eux, en parlaient comme d’un héros de guerre. Une chose est sûre, s’il était resté sur place, il aurait été tué, car une balle avait traversé la chaise sur laquelle il était assis avant d’aller dans la mêlée.
Ou celle d’Alphonse Dubé, le fils de Paul Dubé du magasin général à Price, qui se cachait dans un baril vide, dans le magasin de son père, pour éviter d’aller à la guerre. La police de l’armée, qui fouillait les environs pour découvrir les fuyards, ne l’a jamais trouvé.
Après la guerre, moi, je suis retournée travailler au presbytère…
Soeur Huguette Turcotte
Soeur Huguette Turcotte
Laval
Née en 1924
J’ai beaucoup de souvenirs se rapportant à cette période, dont plusieurs liés à notre chalet de la Pointe aux Cenelles, situé juste avant les Jardins de Métis, qui étaient à l’époque le jardin privé de la riche famille Reford de Montréal.
Quand la 9e École de bombardement et de tir s’est installée dans le voisinage, nous avons été expropriés de notre chalet. Les militaires voulaient utiliser la pointe rocheuse qui s’avançait dans le fleuve pour y installer des cibles, afin que les aviateurs puissent se pratiquer lors d’exercices de bombardements.
On les entendait s’exercer de sept heures le matin jusqu’en après-midi. Les aviateurs maniaient aussi des mitrailleuses enchâssées dans les avions : dans ce cas, deux avions se suivaient au-dessus du fleuve; le premier traînait derrière lui une cible et l’étudiant- mitrailleur du deuxième avion essayait de l’atteindre.
On ne parlait pas beaucoup des accidents, même s’il en arrivait parfois. Un jour, je circulais en voiture et j’avais dû m’immobiliser sur le rebord de la route pour laisser passer des véhicules de l’armée. C’est là que j’avais vu dans le champ un avion qui s’était écrasé et dont le pilote était manifestement mort, recouvert d’un drap blanc. Une autre fois, on a raconté qu’un pilote, alors qu’il s’approchait de son avion, avait mal jugé sa distance alors que l’hélice tournait. Il était mort sur le coup.
Mon père a ensuite loué, à un monsieur Larrivée, un autre chalet plus spacieux sur un terrain au bord de l’eau, à plus ou moins un kilomètre de la demeure des Reford. C’est ce même monsieur Larrivée qui a été témoin, le 9 octobre 1942, du torpillage du navire Carolus par les Allemands.
C’est de ce chalet que notre famille a souvent été témoin des activités sur le fleuve Saint- Laurent. Afin de ravitailler la Grande-Bretagne, des convois de 40 à 50 bateaux partaient de Québec la fin de semaine, accompagnés par des frégates qui les protégeaient des sous-marins allemands. De notre chalet, nous pouvions les voir passer sur le fleuve le samedi.
La présence des sous-marins a aussi eu pour effet d’obliger la population à masquer les lumières dès le soir tombé, pour ne pas offrir aux Allemands des points de repère sur la terre ferme. Ainsi, nous devions couvrir les fenêtres du côté nord des maisons avec des toiles et une partie des phares des automobiles avec de la peinture noire.
Un soir, j’ai vu sur le fleuve des lumières scintiller, avec des intervalles réguliers. J’en ai déduit que ça devait être du morse, et je me suis empressée de signaler l’événement aux autorités.
Après mes études, à mon retour à Mont-Joli, une employée de la Banque de Montréal s’est absentée. Vu que je maitrisais bien l’anglais et que la remplaçante devait être bilingue, ce qui n’était pas coutume dans la région à l’époque, je me suis retrouvée à travailler à la banque. J’avais appris l’anglais lors de mon séjour chez les Ursulines à Chatham, en Ontario, où j’avais suivi un cours commercial.
Monsieur Drouin, le gérant, avait demandé à mon père — qui était dentiste et pour lequel je devais être réceptionniste — de me « prêter » à la banque le temps du remplacement, qui a duré une dizaine de mois.
Je me rappelle qu’on y comptait, sur une longue table, l’argent que l’armée envoyait pour payer les militaires de l’école. L’argent arrivait par train. On allait le chercher à la gare, où il était gardé dans un coffre-fort, et on dénombrait les billets pour vérifier que le montant exact s’y trouvait. C’était une corvée obligatoire, interminable et ennuyeuse…
Le commandant de la 9e École… passait de temps à autre à la banque. Il arrivait en Jeep, assis à l’arrière, accompagné par deux auxiliaires féminines, dont la conductrice. C’était très impressionnant! Un jour qu’il était venu faire un dépôt en argent sur son compte personnel, j’étais si nerveuse qu’au lieu de créditer l’opération, je l’ai mise au débit. En ressortant, le commandant a jeté un coup d’oeil dans son carnet et il est revenu, outré, me gronder en anglais. Là, j’aurais bien aimé ne pas comprendre cette langue…
Toujours est-il que l’employée que j’avais remplacée est revenue au travail et je suis allée travailler pour mon père. Plusieurs personnes, dont les militaires, venaient réclamer ses services.
Puis la guerre s’est terminée. Les années ont passé, je suis devenue Sœur missionnaire de l’Immaculée-Conception et je suis partie en 1953 en mission aux Philippines. Après, j’ai servi l’Église en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud…
Maintenant, j’ai 94 ans et je vis une retraite active à notre maison-mère à Laval.