17 Pow Wow
André Lemelin a parcouru 14 000 km en voiture afin de photographier quasiment tous les pow wow du Québec. Presque à chaque fin de semaine de l’été 2018, il est allé à la rencontre d’une nouvelle communauté et a capté des images qui traduisent sa vision singulière de ces rassemblements si particuliers.
Originaire de l’Abitibi, André Lemelin a le sens du territoire et du sacré. Humaniste, à la recherche du poétique, il aborde avec respect et créativité son sujet. Empreint d’une grande sensibilité, d’une capacité d’observation unique et d’un sens graphique fin, il capte sur le vif des moments présents et précieux, passés inaperçus aux yeux de plusieurs. La plupart des gens qui assistent à un pow wow prennent des photos parce qu’ils sont impressionnés par la beauté des regalias, par la fierté qui émane des danseurs, par la vibration des tambours résonnants jusqu’au cœur. André pour sa part capte ce qui se passe en marge de l’événement, des moments plus intimes, un regard plus profond qui dévoile d’autres aspects des danseurs. Avec son œil de lynx, il saisit l’essentiel et nous présente, dans cette exposition, un pow wow au sens large du terme.
Le mot pow wow fut détourné de sa signification à quelques reprises. Les non-autochtones allaient jusqu’à utiliser ce mot pour désigner une fête. Ainsi il perdit son sens sacré. Jusque dans les années 50, les pow wow étaient interdits par le gouvernement canadien, ainsi que toutes formes de rencontres autochtones. Ils ont ressurgi dans les années soixante-dix, sous l’influence du mouvement « red power ». Au Québec, on y présentait tenait des activités traditionnelles ou des spectacles qui mettaient en valeur la culture. On les appellait encore pow wow, mais il n’avait plus le sens spirituel premier. Dans les années quatre-vingt-dix, les pow wow d’origine, tel qu’on les connaît aujourd’hui, firent leur apparition au Québec. Actuellement, ils n’ont pas encore atteint toutes les communautés. Pas étonnant que certains d’entre eux n’ont pas de danseurs, d’autres ont davantage l’allure d’un rassemblement, alors que d’autres font chevaucher les deux.
Originaire de l’Ouest du continent, ces pow wow regroupent des danseurs venus des quatre coins de l’Amérique du Nord pour célébrer la Terre et prier pour leurs proches au son du tambour. Un protocole régit cette cérémonie, mais sans être appliqué partout de la même façon. Certains pow wow sont compétitifs, d’autres sont plus stricts dans leur façon de faire. On y retrouve plusieurs types de danses qui ont leurs pas spécifiques et sont associésà un habit de cérémonie distinctif appelé regalia. Ce vêtement est le reflet de l’âme du danseur par ses symboles, ses couleurs, mais aussi par le temps mis avec cœur à sa fabrication. Pour les danseuses de clochettes, par exemple, elles doivent coudre une clochette chaque jour durant 365 jours en faisant une prière. Ces dernières sont considérées comme des guérisseuses. Les danseuses traditionnelles, quant-à-elle, massent la terre avec leurs pas cadencés, la caressent avec les franges de leur regalia, tout en lui portant un regard bienveillant. Toutes ces danses traduisent un grand respect pour la Terre. Il en émane une force, une beauté qui traduit de la relation profonde au vivant, au sacré. On y voit une grande dignité humaine, toujours présente malgré les tentatives de génocide.
Àtravers les pow wow, la fiertérenaît comme un phoenix de ses cendres. Cette dignité humaine est transmise aux jeunes tel un nouvel héritage qui contrebalance celui imposé par les pensionnats. Ces cérémonies sont un lieu de transmission pour les jeunes. Leur présence s’impose, et ils y sont à l’honneur. Ils y dansent dès qu’ils apprennent à marcher et enracinent en eux les valeurs de respect. Ils sont l’espoir d’un monde meilleur. Cette présence s’est traduite dans les images du photographe. Ainsi, cette exposition souligne leur importance.
Le pow wow, c’est aussi le tambour qui bat au rythme du cœur de la Terre et touche notre être profond. Il nous rappelle que nous sommes tous reliés, que notre humanité est trop souvent mise de côté dans le rythme effréné de nos vies parfois superficielles. Assister à un pow wow nous reconnecte à la vie présente en toutes choses et nous rappelle d’honorer ce qui est vivant et sacré.
André Lemelin livre toutes ces dimensions du pow wow à travers ses images fortes et immédiates. Si on écoute attentivement, on entend même le tambour. Ainsi, on va à la rencontre de l’autre, mais surtout à la rencontre de soi.
Sonia Robertson
Artiste, art-thérapeute et commissaire